Quelle reprise ? On la voit enfin dans les chiffres du PIB aux Etats-Unis, après des déficits budgétaires très importants et des soutiens monétaires sans exemple. Elle sera donc tardive – et d’ailleurs on l’attend encore en zone euro. Puis on voit qu’elle sera très lente aux Etats-Unis. Puis sans beaucoup d’emploi, et pendant de longs mois. Puis, quand l’emploi vient enfin, cette reprise viendra sans beaucoup de hausses de salaire, et même aux Etats-Unis qui sont actuellement en plein-emploi ! Donc cette reprise sera, et pendant de longs trimestres, sans beaucoup de consommation, et surtout sans vrai risque d’inflation.
« Reprise américaine » vous avez dit ? On en vient à se demander si le mot est le bon, s’il s’agit d’une vraie reprise ou plutôt d’une autre sorte de reprise. Car la crise a été très particulière et très forte. La reprise pourrait donc être, elle aussi, très particulière et peut-être très faible par rapport aux standards traditionnels. Autrement dit, cette « reprise », pour éviter une croissance trop faible pendant de longues années, une stagnation séculaire (secular stagnation) pour reprendre la menace de L. Summers, demandera des actions très fortes. Viendront-elles des pouvoirs publics, ou plutôt des entreprises ? Et à quoi vont-elles donc ressembler ?
Reprenons : quelle est donc cette reprise américaine qui naît avec un tel délai, puis se développe en plein emploi sans hausse des salaires et sans inflation ? Et en zone euro, quelle est donc cette reprise qui se met en place avec un tel retard, si faible, sans emploi nouveau, sans hausse de salaires et avec si peu de nouveaux financements ? Et pourtant, dans les deux cas, la bourse monte.
La bourse : c’est le vrai point commun de ces deux reprises. Elle est boursière. C’est la remontée des profits, permise par la baisse ou la stagnation des salaires plus la baisse des taux qui a permis cette remontée des profits à des niveaux pratiquement ignorés depuis la deuxième guerre. La sortie de cette grande crise, de cette crise de surendettement, s’est faite par le désendettement, autrement dit par l’autofinancement (le profit), avec un effet richesse important. Cet effet a été puissant dans les pays à marchés financiers importants et à fonds de pension (Etats-Unis, Royaume-Uni) et encore assez faible ailleurs (France notamment).
Mais si on peut comprendre cette reprise par les profits, on ne peut pas comprendre le retard des salaires américains. Normalement ils auraient dû monter depuis plusieurs mois et réduire la progression des profits. Or ce n’est que maintenant qu’un point de retournement se dessine – avec un étonnant retard.
L’explication est que la reprise a changé parce que l’emploi a changé. La nouvelle économie, celle du big data, des réseaux, et bientôt de l’économie du partage sont à l’œuvre. Celui qui a été frappé par le chômage il y a cinq ou six ans et ne maîtrise par les techniques nouvelles, non seulement les ordinateurs mais les applications pour envoyer les messages, comprendre la géolocalisation ou la nouvelle gestion des stocks et des tâches va avoir de graves difficultés à revenir en emploi. Son expertise est déclassée. Il devra accepter des rémunérations plus faibles ou gelées. Le plus souvent, il sortira du marché du travail. C’est bien pourquoi les Etats-Unis s’inquiètent autant de la baisse du taux de participation des américains à l’emploi. La réponse : ces américains qui ont quitté le marché du travail sont inquiets, apeurés, largués.
En revanche, de l’autre côté du spectre des compétences, les rois des stats et des nouvelles organisations sont pourchassés, avec des salaires en forte hausse. Au milieu, les salariés moyennent qualifiés, au fond les couches intermédiaires, vont voir leur revenu croître très lentement.
Cette polarisation de l’emploi par qualification fonctionne aussi par entreprise et par ville. Les grandes entreprises modernes embauchent et croissent dans les grandes villes qui, elles-mêmes, s’étendent. Les emplois intermédiaires sont peu recherchés et peu rémunérés dans les entreprises moyennes des villes moyennes. La reprise est lente parce que la cohorte économique et sociale s’étire.
Ceci implique des politiques très vigoureuses de formation, publiques un peu et surtout privées, sauf à voir les entreprises moyennes ne plus attirer de talents et laisser déclasser leur capital humain – ce qui pèsera sur l’ensemble.
On ne comprend pas cette reprise, au fond, parce que c’est la fin de l’ancien monde et le début du nouveau.
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